posté le 23-02-2012 à 22:44:30

Défense d'entrer

La seule raison qui avait poussé Nathan à aller chercher sa sœur à lécole, cétait quil nen pouvait plus des réprimandes de sa mère. Nathan, ne fais pas ci, Nathan, ne fais pas ça, Nathan, regarde-moi quand je te parle. Fatiguant. Mais maintenant quil était sur le chemin du retour, il se disait que, finalement, cétait peut être mieux comparé au flot intarissable de paroles de sa petite sœur. Sandra navait jamais eu la langue dans sa poche. Au début, on pouvait tenter de lignorer, mais à la longue, cela devenait vraiment pénible.

 

Nathan, Sandra et leur mère vivaient dans une petite bourgade d’à peine 400 habitants, dans le Nevada. Le père des enfants était un militaire, et il avait été envoyé quelques années plus tôt comme bon nombre de ses compatriotes en Irak. Avant de partir, il avait confié son briquet à Nathan, objet que lenfant essayait toujours de lui subtiliser, avait embrassé sa fille, qui nétait encore quun bébé, et sa femme, et leur avait promis quil serait bientôt de retour. Il envoyait des lettres dès quil trouvait un moment, évitant de raconter les horreurs quil voyait et rassurant tant que possible sa famille, mais un jour il cessa brusquement de donner des nouvelles. Peu de temps après, on frappait à leur porte pour leur remettre le drapeau des États-Unis et leur dire que lhomme quils attendaient était mort pour lAmérique et ne reviendrait pas.

 

Le garçon ne sen était jamais remis. Il narrivait pas à accepter que celui qui semblait si fort, si sûr de lui, celui qui respectait toujours ses promesses et pour qui Nathan avait une admiration non dissimulée, pouvait ainsi disparaitre et le laisser seul. Il était devenu farouche et nonchalant, mais sa mère le trouvait parfois en train de pleurer sur son lit, serrant contre lui le dernier souvenir que son père lui avait laissé.

 

Sandra, quant à elle, navait pas vraiment connu son père, et ne comprenait pas pourquoi sa mère se taisait et son frère lui jetait un regard noir lorsquelle en parlait. Il lui manquait, mais elle savait vivre sans. Cétait la raison pour laquelle elle agaçait plus Nathan quautre chose. Il trouvait quelle ne respectait pas la mémoire de son père, même si, au fond, il ne savait pas vraiment ce que cela voulait dire.

 

Aujourdhui, le garçon avait 12 ans, et sa sœur en avait 7, l’âge auquel il avait vu son père pour la dernière fois. Et pourtant, rien ne semblait avoir changé, comme si son existence avait simplement été gommée. Quelques fois, il entendait des enfants demander à sa sœur pourquoi cétait toujours Nathan ou sa mère qui venaient la chercher, et jamais son père. Ce à quoi elle répondait simplement : « Il ne peut pas, il est parti en Irak quand jétais un bébé, et maintenant il est avec les anges ». Dans ces moments-là, Nathan ne pouvait sempêcher de ressentir un élan de compassion pour sa sœur. Mais il y avait souvent un petit malin qui samusait à dire que son papa à lui était plus fort, parce que lui aussi était allé en Irak, mais que lui, il était rentré à la maison. Nathan réprimait alors la colère qui montait en lui, attrapait Sandra par la main et rentrait le plus vite possible.

 

Le même scénario venait une fois encore de se produire. Sandra, qui y était habituée, navait rien relevé et continuait de parler et de parler, sans se rendre compte que son frère ne lécoutait pas. Mais cette fois-ci, Nathan sarrêta brusquement au milieu de la rue. À gauche du garçon se trouvait une vieille bâtisse toute décrépie, dont presque tous les carreaux étaient brisés et dont les rideaux pendaient en lambeaux avec un flottement perpétuel, même lorsquil ny avait pas de vent. Cette maison avait la réputation d’être hantée. On racontait qu’à lorigine une famille de sorciers possédait cette habitation et quils avaient eu dhorribles pratiques entre ces murs, allant même jusqu’à un sacrifice humain. Et puis ils avaient un jour disparu sans laisser de trace, laissant la maison à labandon.

 

Différents propriétaires sétaient succédés ensuite, mais ils ne tardaient pas à fuir les lieux, ne laissant rien derrière eux et disparaissant en général au beau milieu de la nuit, de sorte que les départs ne se remarquaient pas tout de suite. Mais depuis quelques années, personne nessayait plus dhabiter ici, et la mairie ne se décidait pas à donner lordre de démolir cette bâtisse. Personne navait envie dentrer à lintérieur. Personne, sauf le jeune garçon qui mourrait denvie den découvrir le secret.

 

Voyant par la même une occasion de faire taire sa sœur, Nathan décida quil était temps daller jeter un coup d’œil.

 

« - Dis, Sandra, elle ne tintrigue pas, toi, cette maison ? »

 

La petite fille le regarda avec ses grands yeux bleus, qui se mariaient parfaitement avec ses petites bouclettes blondes, puis répondit de sa voix enfantine :

 

« - Si, jaimerais savoir ce quil y a dedans, mais à lécole ils disent quil faut pas y rentrer parce quil y a des fantômes, et maman elle a dit que...

 

- Et si on allait voir si cest vrai ? On le dira pas à maman, ce sera notre secret. Peut être quen fait dedans il y a un trésor ! » dit le jeune garçon, un sourire aux lèvres.

 

La petite fille se mit à trépider.

 

« - Oh oui oh oui ! On peut aller voir ? Tu crois que cest quoi comme trésor ? Et les fantômes ils existent vraiment ? Et...

 

- Si on y va, il faut te taire. Si il y a des fantômes, ils vont tentendre, et après ils vont te suivre jusqu’à la maison et te pendre par les pieds quand tu dormiras. »

 

Cela suffit pour que Sandra se taise. Elle suivit son frère qui poussa le vieux portail en bois, à moitié mangé par les termites, avança parmi les plantes mortes, arriva à la porte et la poussa pour voir si elle souvrait. Il y eut un grincement sinistre et la porte souvrit, semblant les inviter à entrer. A lintérieur régnait une obscurité terriblement dense, ce qui dailleurs était assez étrange, étant donné quaucune des fenêtres nétait obstruée, et curieusement les ténèbres avaient quelque chose dattirant. Sur une table non loin de lentrée se trouvait une bougie à moitié fondue, mais qui paraissait encore utilisable.

 

Nathan la vit, sortit le briquet de son père, sempara de la bougie et lalluma. La faible lueur de la flamme se répandit autour de lui. Latmosphère était terriblement lugubre. La poussière recouvrait tout, et le garçon pouvait suivre ses pas jusqu’à lentrée. La quasi-totalité des meubles, en partie recouverts par des draps déchirés, étaient brisés. Sandra, un peu inquiète, ne disait mot et avait sorti son ours en peluche quelle serrait contre elle.

 

Le garçon examina la pièce autour de lui. A part la bougie, rien nétait utilisable. Un escalier menant au premier étage se trouvait au fond, mais il était en partie écroulé et ne semblait pas assez solide pour supporter le passage dune autre personne. Un second escalier, beaucoup plus étroit, était creusé non loin du premier et descendait jusqu’à une porte bosselée et cadenassée. Enfin, il y avait sur la droite lencadrure dune porte désormais inexistante qui menait aux autres pièces de la maison.

 

Il s’anima soudain :

 

« - Allez, viens, on est des explorateurs et on va découvrir les secrets de la maison ! » dit-il joyeusement.

 

Sandra restait auprès de lui, silencieuse. Elle opina du chef et le suivit dans les   autres pièces. Elles étaient toutes semblables, tout était cassé, plein de poussière et partiellement mangé par les insectes. Le silence régnait et même les pas des deux enfants semblaient étouffés. On aurait dit que le temps sétait arrêté.

 

Nayant rien trouvé, ils revinrent à première pièce, déçus. Le garçon descendit alors vers la porte cadenassée. Au moment où il approcha sa main du verrou, celui-ci tremblota, souvrit et tomba au sol, comme si après avoir si longtemps tenu cette porte au secret, il avait fini par rendre l’âme. La porte souvrit delle-même et laissa entrevoir un couloir ténébreux qui descendait en pente douce.

 

Nathan se sentit attiré dedans et commença à avancer. Sandra gémit alors et lui demanda de ne pas aller plus loin, car ce couloir lui faisait peur et elle ne voulait pas rester toute seule. Son frère lui répondit dun ton absent que si elle ne voulait pas rester toute seule, elle navait qu’à le suivre, sans sarrêter davancer. Il était quasiment arrivé à lautre bout et pouvait distinguer imprécisément, grâce à la lueur de la bougie, une vaste salle devant lui, quand il entendit sa sœur éclater en sanglots. Elle lui implora de lattendre et se mit à courir à sa suite. Ses pas résonnaient sur les parois de ce qui, au final, ressemblait plutôt à un tunnel.

 

Le garçon sarrêta et lattendit. Il se doutait que sa petite sœur naurait pu rester longtemps toute seule dans lobscurité. Les échos des pas continuaient de résonner sans discontinuer, avec toujours la même intensité. Au bout de deux minutes, il commença à se poser des questions. Les bruits ne semblaient pas se rapprocher, et de toute façon elle aurait déjà être arrivée. Il rebroussa chemin pour aller la chercher, se demandant si elle ne faisait pas du sur-place. Mais malgré ses déplacements, lintensité des sons était toujours la même. Il était à présent proche de lentrée, mais sa sœur ny était pas. Quelque chose attira son attention. Le jeune garçon se baissa et ramassa lours en peluche de sa sœur. Les bruits de pas continuaient toujours, sans quil puisse déterminer doù ils venaient.

 

Nathan commença à sinquiéter et appela Sandra dans le tunnel. Pas de réponse. Seuls les échos quil entendait depuis tout à lheure perçaient le silence. Ces sons lui transperçaient le crâne, lui inspirant une peur de plus en plus puissante. Si ce nétait pas sa sœur... Quest-ce que cela pouvait bien être ?

 

Sandra nétait pas remontée, ça, il en était certain. Il devait donc traverser le tunnel une nouvelle fois. Mais maintenant que les évènements lui échappaient, il ne ressentait plus lattraction de tout à lheure. Le garçon avança lentement, suant à grosses gouttes. Les échos ne cessaient toujours pas. Arrivé au milieu du tunnel, il crut percevoir une lueur devant lui. Et en effet, lorsquil arriva de nouveau à lentrée de la salle quil avait vue, une faible lueur en provenait. Sa bougie séteignit au moment où il entra.

 

La salle sétendait sur une quinzaine de mètres, et le plafond se trouvait à environ trois mètres. Il ny avait aucune source de lumière, pourtant léclairage venait bien dici. Cet endroit semblait produire de lui-même la lueur sinistre.

 

Nathan savança timidement dans la salle. Les échos se turent. Sen suivit un silence oppressant. Rien ne bougeait. Le garçon avait limpression que sil tentait de parler, aucun son ne sortirait de sa bouche. Il allait bientôt finir par craquer. Mais il ne pouvait rentrer chez lui sans sa sœur, sa mère le tuerait. Il respira donc un grand coup et traversa témérairement la salle. Tout au fond, il y avait une énorme porte blindée verrouillée et chainée. Il était inutile dessayer de la forcer. Elle était ornée dun œil rouge, si bien fait que Nathan ne pouvait sempêcher de ressentir un profond malaise en le regardant.

 

L’œil semblait regarder derrière lui. Il ne put sempêcher de suivre son regard. Derrière lui se tenait sa petite sœur. Ses vêtements étaient plus sales que tout à lheure, et une mèche de cheveux lui cachait les yeux. Elle ne semblait plus effrayée. Nathan soupira de soulagement, puis dit sur un ton agacé :

 

« - Sandra ! Tu mas fait peur ! Ne refais jamais ça ! »

 

La petite fille ne répondit pas. Elle ne le regardait même pas. Nathan insista, mais rien ny faisait. Il voulut alors sapprocher, mais elle se déroba et senfuit dans le tunnel. Il voulut crier pour la retenir, mais elle était déjà loin. Il valait mieux la suivre directement. Le jeune garçon sengouffra à sa suite dans louverture, sans faire attention au reste. Derrière lui, à labri de son regard, l’œil rouge cligna, et lorsquelle fut vide, la salle sassombrit de nouveau.

 

Nathan navait pas remarqué les ténèbres qui étaient tombées autour de lui. Il voyait toujours sa sœur devant, et continuait de courir après elle. Pendant plusieurs minutes, la scène sembla se répéter sans fin. Ce nétait pas normal, tout à lheure, alors quil marchait, il était arrivé plus vite de lautre coté. Alors quil courait dans le noir, il commença dentendre des rires denfants, des rires à vous glacer le sang tellement ils étaient inhumains. Le jeune garçon, mortifié, voulut courir plus vite pour échapper au tunnel infernal, mais malgré tous ses efforts, il ne parvenait ni à rattraper sa sœur, toujours aussi loin devant lui, ni à atteindre lentrée quil ne voyait même pas.

 

Les rires résonnaient dans sa tête, et il eut limpression de devenir fou. La peur se répandait dans son corps, comme un poison insidieux faisant lentement son office. Une sueur froide perlait sur son front, et sil sétait arrêté, ses genoux auraient tremblé au point de lempêcher de se tenir debout. Il espérait que ce nétait quun cauchemar, que ce nétait pas vrai, ça ne pouvait pas être vrai... Nathan se souvint des histoires de fantômes et se demanda si cétait à cela quelles faisaient allusion.

 

Tout à coup, il eut la sensation que le couloir sélargissait, et quelques secondes plus tard il trébucha et roula lourdement sur le sol. Lorsquil se releva, lobscurité avait diminué. Le couloir avait laissé place à la salle dentrée de la maison, mais il était arrivé par un trou dans le mur qui nétait pas là tout à lheure. Lescalier par lequel ils étaient arrivés avait totalement disparu. Le jeune garçon regarda autour de lui. Sandra était dans lescalier du premier étage, derrière la partie éboulée. Comment était-elle arrivée là ?

 

« - Arrête de jouer, il faut quon rentre ! » sexclama-t-il dune voix chevrotante.

 

Les rires sinterrompirent. Une voix séleva du corps de la petite fille, sans quelle bouge les lèvres. Elle était tout sauf humaine.

 

« - Viens me rejoindre, grand frère » dit-elle dun ton mielleux.

 

Alors, sans quil comprît pourquoi, Nathan commença lentement à savancer et à gravir une à une les marches de lescalier. Il ne lui fallut pas longtemps pour atteindre le trou béant. Le garçon avait de plus en plus peur, la chute serait terriblement douloureuse, il devait absolument reprendre le contrôle, il ne devait pas continuer davancer, il... continua davancer dans le vide comme si les escaliers étaient entiers et arriva auprès de sa sœur sans encombre. Elle ne le regardait toujours pas. Nathan voulut retirer la mèche qui lui couvrait les yeux, mais elle frappa violemment sa main à son approche. Le coup était beaucoup trop fort pour des bras dune petite fille de sept ans.

 

Elle se retourna et s’enfuit de nouveau, laissant à peine le temps à son frère de réagir. Cette fois-ci, il la perdit de vue, et quand il arriva au premier étage, il était seul. A cet étage, il y avait seulement trois portes. Les deux premières donnaient sur des salles exiguës, dépourvues de toute lumière. Quant à la troisième, il dut forcer quelques secondes. La porte souvrit avec un vacarme terrifiant et une bourrasque glaciale le fit reculer. Le vent retomba, et il put entrer, découvrant une petite chambre avec un coffre à jouets et un lit à baldaquins.

 

Nathan sapprocha et, redoutant ce quil pourrait trouver sur le lit, poussa les pièces de tissu. Et alors il hurla deffroi. Sur les draps était étendu le corps de Sandra, ouvert de tout son long, les organes répandus un peu tout autour et le sang recouvrant la scène. Ses yeux avaient été arrachés, son cœur était en lambeaux, et elle avait des traces de lacération sur toutes les zones de son corps. Alors le garçon, déjà terrifié, entendit de nouveau les rires en beaucoup plus intenses. Il se retourna et vit ce quil avait plus tôt prit pour sa sœur. La mèche de cheveux était tombée, et on pouvait voir des yeux démoniaques, injectés de sang, qui vous clouaient sur place au moindre regard. La chose riait, et au fur et à mesure son apparence changeait.

 

Sa peau se déchira, laissant apparaitre une forme pâle qui rappelait de loin un enfant terriblement maigre, vêtu de lambeaux blancs. Des cheveux noirs tombaient sur son visage, et ses yeux, déjà effrayants, avaient viré au vert, et la pupille ressemblait désormais à celles des serpents. Il ne cessait de rire, et tout en riant il sortit un long poignard maculé de sang, le pointa vers Nathan et fondit sur lui.

 

Ce dernier continuait dhurler, et tandis quil hurlait, il sentit le métal froid lui perforer le thorax. Son sang gicla sur le sol, et la lame sabattit à nouveau sur lui, le lacérant encore et encore, déchirant ses organes internes et éclaboussant toute la pièce du liquide écarlate. Enfin, lenfant sapprocha du garçon, le saisit à la gorge et prépara le coup fatal...

 

Nathan ouvrit les yeux. Sa mère lappela au même moment. Il sortit de sa chambre, penaud, et alla la trouver. Elle lui demanda daller chercher sa sœur à lécole, car elle avait encore trop de travail. Il acquiesça sans dire un mot et retourna dans sa chambre pour récupérer sa veste. Quand il entra dans sa chambre, il sarrêta net, horrifié. Un œil rouge était tracé sur un mur de sa chambre, et sur son lit deux enfants sautaient. Le premier était la créature de la maison hantée. La deuxième était sa petite sœur, aussi pâle que lautre, les cheveux voletant allègrement autour de son visage et les yeux semblables à ceux du garçon démoniaque. Au moment où ils le virent, ils cessèrent de sauter et se mirent à rire.

 


Commentaires

 

1. Co-  le 10-11-2014 à 23:06:39

Bonne histoire bien écrite comme toutes les autres d’ailleurs!!
T'est un vrai Pro Magno!

 
 
 
 

Ajouter un commentaire

Pseudo : Réserve ton pseudo ici
Email :
Site :
Commentaire :

Smileys

 
 
 
Rappel article