posté le 06-04-2014 à 15:04:22

La maladie

Je ne pense pas que c’est une bonne chose de vous en parler. D’après ce que j’ai compris, c’est une des conditions. Mais je n’en suis pas sûr, alors peut être que ça ne changera rien, au final. En même temps, ne pas en parler, ça empêche de pouvoir s’y préparer. Et il vaut mieux y être préparé, le jour où ça nous arrive. C’est comme quand on déclare un cancer. Ceux qui ne savent pas de quoi ils souffrent ont peur, ils ne savent pas d’où viennent leurs douleurs et ils paniquent. Savoir à quoi s’attendre, quelque part, ça donne un petit espoir. L’espoir que les symptômes s’arrêtent et qu’on guérisse miraculeusement.Ça semble frapper au hasard dans la population. Parfois c’est une personne seule, parfois c’est une famille entière. Que l’on soit gros, grand, petit, mince, sportif, que l’on soit en général en bonne santé ou non, ça ne change rien. Comment ça se propage ? C’est un mystère pour tous ceux qui y assistent comme pour ceux qui subissent. Des spéculations sont faites là-dessus. Les gens qui l’ont en ont souvent parlé avant de tomber malade. Peut être qu’il faut être un peu hypocondriaque pour que ça finisse par nous tomber dessus. Mais je crois que certaines victimes n’en avaient jamais entendu parler, alors je ne suis pas tout à fait sûr.Le tout premier symptôme à se déclarer, c’est l’iris qui devient complètement noire. On dit que la couleur des yeux est causée par la production de mélanine dans l’œil, et qu’elle ne varie que pendant la première année de vie. Cette chose doit la réactiver et la pousser à son maximum, d’une manière ou d’une autre. Ou alors ce n’est pas naturel, et autre chose vient se loger dans vos yeux. Je ne sais pas. C’est possible, après tout les yeux sont très touchés par l’infection. On se met à pleurer du sang. Notre vision s’altère, les couleurs deviennent toutes fades. La lumière nous éblouit très facilement et nous fait même mal. Quand on voit tous ces symptômes, ça donnerait presque l’impression que vos yeux sont consommés par ce qui s’y est logé. Et vous n’allez même pas le sentir.La peau aussi se met à changer. Au début, elle devient pâle, rêche, un peu comme du papier. Chez certains, la pâleur peut aussi être accompagnée d’une teinte jaunâtre. Ça ressemble un peu aux fleurs qui fanent ou aux légumes qui pourrissent. La suite est d’ailleurs conforme à cette image. Quand on se blesse, la peau ne se répare plus. La chaire reste à vif. Le sang peut coaguler, mais les croûtes ne partent jamais. Ou alors, si on les arrache, on saigne de nouveau. Nos ongles tombent, aussi. Comme les poils. Comme les cheveux. Quand vous vous levez et que vous vous regardez dans la glace, vous avez l’air dégoûtant. Vous pourrissez.Après, c’est le cerveau qui est attaqué. Peut être que les autres organes le sont aussi, en fait, mais on n’a pas envie de vérifier. Personne n’a envie de finir infecté parce qu’il aura essayé de voir tous les effets qu’il y a eu sur le corps. On ne sait toujours pas comment ça s’attrape, vous vous rappelez ? En tout cas, on ne sent rien du tout dans son corps. Peut être qu’on est dévoré de l’intérieur sans même le sentir ? Imaginez, vous vous réveillez un jour et vous voyez des vers et des insectes sortir d’un trou de votre poitrine. Vous les voyez qui vous grignotent, et pourtant vous ne sentez rien. Ou pire, vous ne les voyez pas, mais vous savez qu’ils vous grignotent. Peut être que c’est parce qu’ils grignotent votre cerveau aussi que vous ne sentez rien ?Les hallucinations et les maux de tête, ça doit venir de là. Tout ce que vous voyez, et qui n’est pas là. C’est comme si vous étiez drogué en permanence. Vous allez sûrement voir des monstres. Les membres de votre famille, vos amis, vous allez croire qu’ils se sont transformés en abomination. Vous allez essayer de leur échapper, ou pire. Sans même en avoir conscience. La douleur qui transperce votre crâne vous empêche d’y songer clairement. Tout ce que vous savez, c’est que vous êtes transcendé par la peur, et que vous devez tout faire pour survivre, peu importe quoi. Vous vous réveillez avec les mains couvertes de sang. Vous venez de tuer votre mère. Mais elle était si terrifiante, alors elle devait vous vouloir du mal, n’est-ce pas ? Vous, vous n’êtes pas si terrifiant. Votre reflet dans le miroir semble aller mieux. Vous pensez probablement que la maladie va se retirer. Vous vous dites que c’est beau d’avoir retrouvé des couleurs. Vous allez certainement avoir enfin la paix avec les horreurs qui vous couraient après.Mais vous êtes poursuivi dans votre sommeil aussi. Chaque nuit, vous rêvez que vous êtes dévoré vivant. Ou peut être que vous ne rêvez pas ? Quand vous vous réveillez, vous ne le sentez pas, mais vous êtes amoindri. Le sommeil n’a pas été réparateur. Vous avez simplement fermé les yeux et les avez rouverts quelques heures plus tard. Les maux de tête s’accentuent. Vous donneriez n’importe quoi pour dormir. Ne vous inquiétez pas, vous allez bientôt dormir. Un jour, vous ne vous réveillez plus. Il va falloir un certain temps à vos proches pour vous en rendre compte. Vous avez toujours l’ai terriblement vivant. Vous les regardez de vos yeux sans couleur. Votre visage reflète l’horreur que vous venez de traverser. Vous avez peut être vu ce qui vous a infecté, qui sait.Qui sait si vous n’êtes pas déjà infecté. Vous savez que cette maladie existe. Si la théorie qui dit qu’il faut, d’une manière ou d’une autre, le savoir pour tomber malade est fondée, alors je tiens sincèrement à m’excuser de vous avoir mis dans cette situation. Mais si ce n’est pas le cas, l’infection vous aurait frappé d’une manière ou d’une autre. Cependant, ne perdez pas espoir. Peut être que quelqu’un trouvera un remède. Après tout, il n’est peut être pas impossible de guérir quand la maladie n’est pas trop installée. Regardez-moi, je me sens mieux de jour en jour.

 


 
 
posté le 16-04-2014 à 16:03:47

Condamnés à mort

Je n’ai pas de nom. Pas de visage. Pas d’existence. Pas de droit à la vie. J’ai été condamné à mort le jour de ma naissance. Et ceci, c’est de votre faute. Je fais partie de ceux qui sont nés dans cet endroit que nous appelons maison, par défaut. Il y fait froid en hiver, chaud en été. C’est souvent humide, et il n’est pas rare que l’on tombe malade, même si l’on est rapidement traité. Nous sommes tous entassés comme des marchandises sans importance. Ces conditions sont parfois fatales à certains, et alors leur corps est évacué rapidement. Ceux qui nous ont enfermés là ne se sont jamais posés la question de savoir si c’était agréable pour nous. L’important était juste que l’on reste « en vie et en bonne santé ». Si l’on peut appeler ça une vie. Parfois, je tombais sur quelqu’un qui avait été pris par eux et qui avait connu le monde extérieur. Les récits de ceux qui venaient du grand air me faisaient rêver. Lorsque j’étais enfant, j’essayais d’imaginer ce qu’était un pré. Cela peut vous paraître étrange, mais je n’ai su associer l’image qui correspond à ce mot qu’assez tard, au début de mon adolescence. C’est lors d’une de mes rares sorties que j’ai pu en apercevoir un au loin. Ils nous déplaçaient parfois, et ça nous permettait d’essayer de voir ce qui se passait autour de nous. C’était pendant ces rares moments que l’on se faisait nombre de faux espoirs. Notre seule raison de vivre, c’était d’espérer être libérés un jour. Nous trouvions cela incroyable que personne ne vienne jamais. À croire que c’était rentré dans la normale de persécuter des individus. Nous n’avons jamais entendu parler de gens s’intéressant à nous. Peut être qu’il y en a, mais ce n’est pas eux qui m’ont sauvé. Les seuls que nous voyions étaient nos tortionnaires. Je ne savais pas qu’il était possible d’inspirer autant de peur. Tout le monde s’écarte sur leur passage. Leur simple mention suffit à nous faire trembler. On pourrait presque les sentir venir avant même de les voir. Imaginez-vous la scène. Vous êtes dans une pièce sombre. Vous ne pouvez pas beaucoup bouger, car il a été fait en sorte d’utiliser tout la place disponible. Vous pouvez déjà vous estimer heureux de ne pas être attaché. Vous ne faites pas attention à grand-chose, parce que votre quotidien, depuis des lustres, c’est devenu ça : attendre. Attendre que le temps passe, sans but précis. Et soudainement, vous commencez à vous sentir mal à l’aise. Vous entendez bientôt des bruits de pas dans votre direction, puis, après une attente qui vous a semblé durer des heures, vous entendez le verrou glisser. Pendant un bref instant, votre peur est supplantée par le désir de voir quelqu’un faire le pas et sortir avant qu’ils ne s’en rendent compte. Mais ce vain espoir est rapidement balayé tandis qu’une lumière aveuglante s’abat sur vous et découpe la silhouette d’un homme dans le couloir qui nous sépare du reste de l’installation. Il entre sans rien dire, regarde autour de lui comme s’il ne nous voyait pas. Il fait une ronde dans la pièce, en paraissant prendre conscience de l’existence de certains d’entre nous tout d’un coup. Il les regarde avec mépris, parfois les tâte sans rien dire. Et puis il repart. Il a pu constater que le traitement que nous subissions n’avait fait aucune victime. Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre sa prochaine visite. Même si nous savons intimement qu’un jour, il viendra pour nous faire sortir. C’est une vieille rumeur tenace qui n’a pas été démentie. Après un certain âge, ils viennent nous chercher, et ceux qui sont pris ne reviennent jamais. Certains idéalistes espèrent toujours que c’est une libération, mais peu d’entre nous sommes dupes. On sait très bien qu’un jour, c’est vers notre dernière demeure qu’ils nous envoient. Ils sont tous des représentations plus terribles de la grande faucheuse les uns que les autres. Vous pensez que ce dont je vous parle n’existe pas. La Seconde Guerre Mondiale est finie, les camps de concentration ont disparu. La barbarie existe encore en Orient, mais certainement pas dans vos pays civilisés. Pourtant, vous nous passez devant tous les jours sans nous voir. Nos cris d’effroi lorsque nous voyons leurs silhouettes menaçantes approcher à grands pas vous laisse indifférent. Notre lente agonie une fois que nous nous sommes fait trancher la gorge ne vous émeut pas le moins du monde. Le spectacle de nos corps se vidant de leur sang puis déchiquetés en petits morceaux ne dérange pas vos habitudes. Vous vous voilez la face.  La mort est votre pain quotidien, dans lequel vous mordez avidement. Vous êtes nos assassins, car vous nous regardez bêtement mourir dans la souffrance sans voir ce qu’il y a de mal à cela. Pourtant, si ce massacre ciblait des personnes que vous connaissez, vous seriez les premiers à hurler de terreur. Imaginez vos mères, vos frères, vos fils jetés dans des cellules, regardés comme de simples animaux et traités lorsqu’ils ne se sentent pas bien. Imaginez-vous, tout en dessous de ce tas humain, en train d’étouffer, car vous n’arrivez plus à obtenir d’oxygène. Et quand vous croyez qu’une main généreuse vous est tendue pour vous sortir de là, ce n’est qu’une serre griffue qui se propose d’abréger vos souffrances. Vous mourrez à genou, en train de ramper devant votre meurtrier en le suppliant du regard pour qu’il vous sauve. Vous finissez cette lecture qui ne ressemble pas du tout à votre réalité en vous demandant qui est l’idiot qui a écrit ça. À cela je vous répondrais simplement ceci : qu’avez-vous eu dans votre assiette aujourd’hui ?
 


 
 
posté le 24-04-2014 à 20:16:13

Le passager avant

Lorsque l’on est seul en voiture, durant la nuit, et que le trajet dure un petit peu, il est possible d’observer un phénomène étrange et inquiétant. Peut-être que cela a un lien de parenté avec les apparitions de dames blanches, mais c’en est tout de même suffisamment différent pour en parler séparément. Cela est connu comme le « mystère du passager avant ».