posté le 08-01-2015 à 17:18:34

Nous sommes tous Charlie

Mercredi 7 janvier, journée noire pour la liberté d’expression. Charlie hebdo a été assailli par des hommes encagoulés, armés et équipés comme des soldats. 12 personnes, dont les dessinateurs Cabu, Charb, Wolinski, Tignous et Honoré, ont payé le prix fort pour le combat que menait le journal à la pointe de crayons et de plumes rebelles contre « les travers de la société française ». Parmi eux, il y avait également 2 gardiens de la paix, l’un qui était là pour la protection des journalistes qui se savaient menacés, l’autre qui passait par là par hasard et a essayé coûte que coûte de faire son devoir. 11 autres personnes ont été blessées. Les ambulanciers eux-mêmes ont été choqués de se retrouver face à des blessures « de guerre », pour lesquelles ils ont « fait des exercices mais pas été préparés à les voir dans la réalité ». La France est en deuil, et le monde a les yeux rivés sur Paris. En ce moment où notre pays est meurtri par la violence et la haine, nous sommes tous Charlie.

 

À l’heure où je vous écris, les assassins sont toujours en fuite, et les forces de l’ordre mettent tout en œuvre pour les retrouver. Les hommes politiques de tous les fronts se rencontrent et montrent leur unité dans cette crise qui rassemble malgré les différends. La France entière s’est arrêtée pendant une minute en leur mémoire, et le glas a sonné à travers le pays, jusque dans les campagnes les plus reculées. Devant la barbarie des djihadistes, c’est l’association de toutes les personnes civilisées qui répond. C’est la rencontre spontanée des citoyens de cœur pour se recueillir, pour rendre hommage non pas seulement à des hommes, mais à la liberté et à la paix qui s’élève face aux meurtriers sans âme. Le monde lui-même répond présent à cet hommage et affirme sa présence dans la lutte contre le terrorisme.

 

Je ne vais pas vous mentir, je n’étais pas un abonné de Charlie hebdo. Je ne connaissais que Cabu, seulement de nom, et je ne savais pas qui étaient les autres, même si j’ai probablement vu certaines de leurs caricatures sans le savoir. J’avais tout juste entendu parler du scandale sur la caricature de Mahomet. Je ne suis donc pas, en théorie, réellement concerné par cet attentat. Des gens pourraient (et vont probablement) me traiter d’hypocrite pour le simple fait d’avoir voulu écrire à ce sujet. Il reste, malheureusement, toujours une minorité qui, dans le meilleur des cas va s’insurger de « l’importance qu’on peut porter à ce qui nous ne concerne pas », dans le pire va se moquer du massacre. Je tiens cependant à le dire haut et fort, je me sens choqué et blessé, personnellement et humainement.

 

Je suis choqué par l’inhumanité de ces évènements. Je suis choqué par la bestialité des meurtres, avec toutes mes excuses pour les bêtes. Je suis choqué que nous soyons aujourd’hui témoins d’atrocités de la sorte dans notre société du 21e siècle après Jésus-Christ, 7 siècles après la dernière Croisade, 4 siècles après la fin de la Guerre Sainte, 100 ans après la Première Guerre Mondiale et 70 ans après la fin de la Seconde. Notre monde a vécu la fin de l’esclavage, la fin du colonialisme, les attentats du 11 septembre… Et pourtant, il y a encore des êtres capables d’ôter la vie d’humains innocents pour une simple divergence d’opinion. Il y a encore de nombreux terroristes cachés parmi les populations mondiales qui attendent leur heure pour tuer quiconque s’oppose à eux et tenter d’imposer leurs croyances par la terreur. Il y a des extrémistes qui n’apprennent rien des leçons de l’Histoire et qui pervertissent l’esprit de personnes faibles comme les délinquants en leur donnant des raisons de mourir. Il y a des monstres qui s’arment pour une guerre visant à répandre une idéologie unique par la force au jour où les différences de cultures sont célébrées.

 

Je suis blessé dans mon âme d’artiste de perdre des hommes qui combattaient la violence et l’intolérance par le rire. Ces caricaturistes n’étaient pas seulement les employés d’un journal : ils étaient des génies empreints d’une grande bonté et d’un profond humanisme, qui savaient dire plus en un seul dessin qu’en un livre entier. Chaque personne morte dans ce drame défendait de plus la liberté, l’égalité, la fraternité et la paix, des valeurs républicaines mais surtout des trésors de l’humanité. Parce que ces valeurs me sont chères, je me sens touché en plein cœur en cette journée de deuil national, et j’espère que les immondices responsables de cette tragédie en payeront le prix. Je suis toutefois heureux d’une chose : en essayant d’effacer ces hommes, ils les ont transformés en héros ; en tentant de ternir leur image, ils les ont dotés d’un éclat plus resplendissant que la lumière des milliers de flammes allumées en leur mémoire ; en voulant les réduire au silence, ils ont fait porter leurs voix plus loin que le papier ne les avait jamais mené ; en essayant de tuer Charlie, ils l’ont rendu immortel.

 

C’est dans ces heures sombres que nous nous rappelons notre humanité. C’est lorsqu’un ennemi commun apparaît que tous les hommes civilisés enterrent leurs querelles et s’unissent, qu’ils soient petits, grands, noirs, blancs, musulmans, chrétiens, américains ou russes. C’est ce genre de manifestation qui me redonne foi en l’humanité, c’est la spontanéité des rassemblements qui m’a profondément ému, je dirais même que ça m’a bouleversé, moi qui n’ai en général pas une très haute estime des hommes. Aujourd’hui, je suis choqué et blessé, personnellement et humainement, et j’ai peur pour l’avenir de l’humanité, j’ai peur de voir l’escalade de la haine et de la violence. J’ai peur que la majorité de la race humaine soit menacée par une ou plusieurs minorités. Mais je me coucherai tout de même plus sereinement ce soir, parce que j’aurai eu la preuve magnifique que les hommes peuvent encore s’unir.

 


 
 
 

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