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Titre du blog : Les écrits de Magnosa
Auteur : Magnosa
Date de création : 23-02-2012
 
posté le 16-04-2014 à 16:03:47

Condamnés à mort

Je n’ai pas de nom. Pas de visage. Pas d’existence. Pas de droit à la vie. J’ai été condamné à mort le jour de ma naissance. Et ceci, c’est de votre faute.

Je fais partie de ceux qui sont nés dans cet endroit que nous appelons maison, par défaut. Il y fait froid en hiver, chaud en été. C’est souvent humide, et il n’est pas rare que l’on tombe malade, même si l’on est rapidement traité. Nous sommes tous entassés comme des marchandises sans importance. Ces conditions sont parfois fatales à certains, et alors leur corps est évacué rapidement. Ceux qui nous ont enfermés là ne se sont jamais posés la question de savoir si c’était agréable pour nous. L’important était juste que l’on reste « en vie et en bonne santé ». Si l’on peut appeler ça une vie.

Parfois, je tombais sur quelqu’un qui avait été pris par eux et qui avait connu le monde extérieur. Les récits de ceux qui venaient du grand air me faisaient rêver. Lorsque j’étais enfant, j’essayais d’imaginer ce qu’était un pré. Cela peut vous paraître étrange, mais je n’ai su associer l’image qui correspond à ce mot qu’assez tard, au début de mon adolescence. C’est lors d’une de mes rares sorties que j’ai pu en apercevoir un au loin. Ils nous déplaçaient parfois, et ça nous permettait d’essayer de voir ce qui se passait autour de nous. C’était pendant ces rares moments que l’on se faisait nombre de faux espoirs. Notre seule raison de vivre, c’était d’espérer être libérés un jour.

Nous trouvions cela incroyable que personne ne vienne jamais. À croire que c’était rentré dans la normale de persécuter des individus. Nous n’avons jamais entendu parler de gens s’intéressant à nous. Peut être qu’il y en a, mais ce n’est pas eux qui m’ont sauvé. Les seuls que nous voyions étaient nos tortionnaires. Je ne savais pas qu’il était possible d’inspirer autant de peur. Tout le monde s’écarte sur leur passage. Leur simple mention suffit à nous faire trembler. On pourrait presque les sentir venir avant même de les voir.

Imaginez-vous la scène. Vous êtes dans une pièce sombre. Vous ne pouvez pas beaucoup bouger, car il a été fait en sorte d’utiliser tout la place disponible. Vous pouvez déjà vous estimer heureux de ne pas être attaché. Vous ne faites pas attention à grand-chose, parce que votre quotidien, depuis des lustres, c’est devenu ça : attendre. Attendre que le temps passe, sans but précis.

Et soudainement, vous commencez à vous sentir mal à l’aise. Vous entendez bientôt des bruits de pas dans votre direction, puis, après une attente qui vous a semblé durer des heures, vous entendez le verrou glisser. Pendant un bref instant, votre peur est supplantée par le désir de voir quelqu’un faire le pas et sortir avant qu’ils ne s’en rendent compte. Mais ce vain espoir est rapidement balayé tandis qu’une lumière aveuglante s’abat sur vous et découpe la silhouette d’un homme dans le couloir qui nous sépare du reste de l’installation.

Il entre sans rien dire, regarde autour de lui comme s’il ne nous voyait pas. Il fait une ronde dans la pièce, en paraissant prendre conscience de l’existence de certains d’entre nous tout d’un coup. Il les regarde avec mépris, parfois les tâte sans rien dire. Et puis il repart. Il a pu constater que le traitement que nous subissions n’avait fait aucune victime. Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre sa prochaine visite. Même si nous savons intimement qu’un jour, il viendra pour nous faire sortir.

C’est une vieille rumeur tenace qui n’a pas été démentie. Après un certain âge, ils viennent nous chercher, et ceux qui sont pris ne reviennent jamais. Certains idéalistes espèrent toujours que c’est une libération, mais peu d’entre nous sommes dupes. On sait très bien qu’un jour, c’est vers notre dernière demeure qu’ils nous envoient. Ils sont tous des représentations plus terribles de la grande faucheuse les uns que les autres.

Vous pensez que ce dont je vous parle n’existe pas. La Seconde Guerre Mondiale est finie, les camps de concentration ont disparu. La barbarie existe encore en Orient, mais certainement pas dans vos pays civilisés. Pourtant, vous nous passez devant tous les jours sans nous voir. Nos cris d’effroi lorsque nous voyons leurs silhouettes menaçantes approcher à grands pas vous laisse indifférent. Notre lente agonie une fois que nous nous sommes fait trancher la gorge ne vous émeut pas le moins du monde. Le spectacle de nos corps se vidant de leur sang puis déchiquetés en petits morceaux ne dérange pas vos habitudes. Vous vous voilez la face.

 La mort est votre pain quotidien, dans lequel vous mordez avidement. Vous êtes nos assassins, car vous nous regardez bêtement mourir dans la souffrance sans voir ce qu’il y a de mal à cela. Pourtant, si ce massacre ciblait des personnes que vous connaissez, vous seriez les premiers à hurler de terreur. Imaginez vos mères, vos frères, vos fils jetés dans des cellules, regardés comme de simples animaux et traités lorsqu’ils ne se sentent pas bien. Imaginez-vous, tout en dessous de ce tas humain, en train d’étouffer, car vous n’arrivez plus à obtenir d’oxygène. Et quand vous croyez qu’une main généreuse vous est tendue pour vous sortir de là, ce n’est qu’une serre griffue qui se propose d’abréger vos souffrances. Vous mourrez à genou, en train de ramper devant votre meurtrier en le suppliant du regard pour qu’il vous sauve.

Vous finissez cette lecture qui ne ressemble pas du tout à votre réalité en vous demandant qui est l’idiot qui a écrit ça. À cela je vous répondrais simplement ceci : qu’avez-vous eu dans votre assiette aujourd’hui ?