On pourrait se croire en pleine science-fiction en lisant ceci.
Pourtant, le mois dernier, un Russe de 30 ans du nom de Valery
Spiridonov s’est bien déclaré prêt à tenter la première greffe de tête
humaine d’ici une à deux années. Atteint de la grave maladie de
Werdnig-Hoffman, affection dégénérative touchant la moelle épinière,
plus précisément au niveau des cellules qui innervent les muscles, qui
se déclare en général six mois après le début de la vie et y met un
terme dans les deux années suivantes, il est un des rares cas
stabilisés, mais vit un enfer qu’il ne souhaiterait à personne d’autre. «
Je n’ai pas vraiment d’autre choix, déclare-t-il aux journalistes. Si
je ne tente pas ma chance, mon sort sera très triste. »
L’opération
serait donc confiée à Sergio Canavero, neurochirurgien à l’université
de Turin, qui, ayant déjà affirmé en 2013 qu’il serait bientôt capable
de tenter l’expérience, a dévoilé ce projet fou en début d’année avant
de le présenter à de riches mécènes en Russie. Il compte l’amener au
congrès de l’Académie américaine de chirurgie neurologique qui se
déroulera en juin de cette année à Annapolis, dans le Maryland, et
espère bien convaincre la communauté scientifique de la crédibilité de
ce protocole, dont il possède d’ailleurs des détails techniques
empêchant de le remettre indiscutablement en cause. D’après lui, tout
est question de vitesse, il s’agit de transplanter la tête en une heure,
soit la durée pendant laquelle le cerveau peut rester en hypothermie
sans subir de lésions irréversibles.
Toutefois,
les experts restent très prudents lorsqu’on les interroge sur la
faisabilité de cette opération. Au-delà de la difficulté que représente
la suture des connexions neuronales de la moelle épinière, que le
neurochirurgien affirme pouvoir surmonter (« Aujourd’hui, nous avons les
techniques pour accomplir cette reconnexion. Des travaux ont montré que
des substances chimiques, le polyéthylène glycol (PEG) et le chitosan,
induisent la fusion des fibres nerveuses (axones) coupées. Nous
pourrions, grâce à cela, reconnecter plus de 50% des axones. Or, d’après
la littérature, la connexion de 10% seulement de fibres descendantes
(du cerveau vers le corps) de la moelle épinière suffit pour rétablir le
contrôle volontaire de la motricité. »), la question du rejet du
greffon se pose. Des traitements existent, mais le greffon a une durée
de vie limitée, et s’il est possible de retirer un rein ou une main, il
n’en va pas de même pour une tête !
À cela s’ajoute la question
éthique. Comme le dit le Dr. Canavero, « l’opération créera une chimère
porteuse de l’esprit du receveur mais qui engendrera la descendance du
donneur. » "Monstrueux", "ridicule", les critiques vont bon train sur le
sujet. À vrai dire, le neurochirurgien lui-même s’interroge, car malgré
le prix prohibitif de ce genre d’opération – une dizaine de millions
d’euros, estime-t-il –, « Que se passera-t-il si un vieux milliardaire
chinois réclame un nouveau corps ? Les médecins se serviront-ils dans
les prisons, comme c'est le cas pour certains organes ? »
On se
demande également quelle pourra être la réaction du patient lorsqu’il se
réveillera dans le corps d’un autre, après s’être fait décapiter en
même temps qu’un donneur en état de mort cérébrale et avoir été placé
dans un coma artificiel devant durer un mois pour permettre aux liaisons
neuronales de se rétablir. De graves troubles identitaires pourraient
surgir, et Spiridonov pourrait très bien perdre le sens de qui il est.
Pire, les expériences déjà réalisées sur des singes dans les années 70
n’avaient jamais permis aux cobayes de survivre bien longtemps.
Malgré
cela, le malade reste sur ses positions. « Ma décision est définitive
et je ne prévois pas d’en changer. » De plus, il se dit « très intéressé
par la technologie et tout ce qui pourrait améliorer la vie des gens »,
ajoutant que « faire cela n'est pas seulement une opportunité pour moi ;
cela crée aussi une base scientifique pour les générations futures ». «
Si j’ai peur ? Oui bien sûr. Mais ce n’est pas uniquement effrayant,
c’est aussi très intéressant. » En 1999, Robert White prédisait que « ce
qui a toujours été une affaire de science-fiction (…) sera une réalité
clinique au début du XXIe siècle » – y compris pour les têtes humaines.
Alors, assistera-t-on bientôt au début d’une nouvelle ère où il sera
possible de dépasser ce tabou transhumaniste ? Quoi qu’il en soit, la
décapitation est prévue pour 2016 ou 2017.