De l’oxygène. C’était tout ce qu’il voulait. Juste un petit peu d’oxygène. Habituellement, il se souciait peu de ce qui emplissait ses poumons, la planète était bien loin d’un manque de cet élément vital à tous. Cependant, à cet instant, c’était la seule idée qu’il avait en tête, il lui en fallait maintenant. Il se débattait depuis un moment, mais son destin semblait scellé. La lutte était vaine, et il était seul. Ni sa famille, ni ses amis ne savaient où il était. Il était impossible qu’il subsiste, dés l’instant où sa tête avait coulé, son ultime chance s’était envolée. La sensation que ses poumons s’enflammaient le gagna ; sa volonté s’éteignit. L’eau se faufila en lui, si vite qu’elle lui sembla comme impatiente. De toute façon, ça lui était égal. Il cessa ses mouvements et accepta sa défaite.
« De l’air ! » s’écria le jeune garçon en se réveillant, tout tremblotant et transpirant. Il inspira de grandes rasades de cet air salvateur dont il avait cru être à court, puis, retrouvant son calme, se releva en s’appuyant contre le mur bordant son lit et ramena ses jambe vers lui, les encerclant avec ses bras. Ce n’était qu’un affreux cauchemar, rien d’autre. Ses parents, réveillés par ses cris de terreur, ne tardèrent pas à venir voir ce qui lui arrivait. « Pourquoi ces hurlements, Kendal ? » l’interrogea sa mère, l’air très inquiète. Le petit prit une grande inspiration et raconta son rêve d’une petite voix, craignant de se faire gronder. Mais au contraire, sa mère lui adressa un sourire rassurant et le serra contre elle, tandis que son père lui ébouriffa affectueusement les cheveux. « C’est terminé, maintenant, fiston, dit-il sereinement, tu peux retourner dormir, tu ne te noieras pas dans ta chambre, promis ! » Peu de temps plus tard, tous avaient de nouveau rejoint les bras de Morphée.
La journée suivant cette nuit commença bien plus calmement. Kendal et sa famille étaient en vacances dans un chalet qu’ils louaient presque tous les étés, dans une vallée où se trouvait un grand lac alimenté par une rivière. C’était là que ses parents s’étaient rencontrés, et ils avaient choisi le prénom de leurs enfants en mémoire de cet endroit. Tallulah, la sœur jumelle de Kendal, aimait beaucoup plus cet endroit que son frère. Le jeune garçon préférait de loin les endroits avec plus d’animations, plus de possibilités de s’amuser et de rencontrer des gens. Sans compter qu’il n’aimait pas trop l’eau. La seule raison pour laquelle il s’approchait du lac, c’était pour y faire des ricochets, faute de meilleure occupation. Tallulah venait souvent avec lui dans ces moments-là, car elle trouvait au contraire que la proximité de l’eau était apaisante. Et elle appréciait regarder les sauts des petites pierres bondissant sur la surface.
Ce jour-là donc, les parents des deux enfants devaient s’absenter pendant une bonne partie de l’après-midi, car ils avaient à faire dans une ville qui se situait à une dizaine de kilomètre. Ils leur avaient promis de leur rapporter de la glace en rentrant, à condition qu’ils soient sages pendant leur absence. Kendal et Tallulah, excités par cette perspective, avaient donc décidé de se rendre sur les rives du lac pour y jouer tranquillement dans l’attente de leur retour. Ils emmenèrent une balle, et jouèrent avec un moment, avant de se lasser. Ils allèrent s’amuser sur la balançoire que leur père avait installée sur un arbre près du rivage, mais le garçon en eut rapidement assez. Ils y grimpèrent alors et sautèrent dans les branches, jusqu’à ce que l’une d’elle finisse par casser. Au bout d’un moment, il leur fallut se rendre à l’évidence : leur réservoir d’idées pour passer le temps était à sec. Et ils finirent à regarder les mouvements de l’eau d’un air ennuyé au bord du lac.
« Tu crois que papa et maman vont revenir bientôt ? demanda la fillette après quelques minutes.
– Je sais pas, répondit son frère, jouant avec un galet, mais j’espère qu’on a été assez sage pour avoir la glace !
– Oh oui, moi aussi ! » s’exclama-t-elle, des étoiles dans les yeux.
Ces mêmes étoiles paraissaient être reflétées sur la surface du lac. Le soleil brillait si fort que l’eau, frappée par ses rayons, semblait par moment être remplie de diamants scintillants de mille feux. Cela lui donnait une allure presque magique, irréelle. C’en était presque aveuglant, en fait. Les deux enfants ne mirent pas bien longtemps à se relever, un peu gênés par la lumière. Ils n’avaient toujours aucune idée de ce qu’ils pouvaient bien faire, ni du temps que mettraient leurs parents à revenir. Peut être était-il temps de rentrer. Ils pourraient toujours essayer de se reposer. Après tout, leurs activités leur avaient quand même fait consommer pas mal d’énergie. Kendal jeta son galet dans l’eau, en profitant pour lui faire faire des ricochets, et se détourna pour suivre sa sœur, qui avait déjà fait quelques pas. Il s’arrêta cependant presque aussitôt, car il sentit quelque chose percuter son pied.
Le galet reposait devant lui. Aucun doute possible, c’était le même, il pouvait en reconnaître la forme. Le jeune garçon fronça les sourcils, perplexe. Il l’avait pourtant bien vu rebondir sur l’eau. Il le prit dans sa main et put constater que sa partie inférieure était légèrement mouillée, ce qui le confortait dans son idée. Est-ce qu’il avait si bien réussi ses ricochets que la pierre était revenue ? Un seul moyen de le savoir. Kendal se tourna face au lac et relança le galet qui, après avoir sauté quelques fois sur l’eau, fit un petit arc-de-cercle et revint vers lui. C’était absolument incroyable ! Pour être sûr qu’il ne rêvait pas, le garçon attrapa une autre pierre sur le bord du lac et réitéra son expérience. Cette fois-ci, probablement sous le coup de l’excitation, il ne réussit pas à la faire rebondir. Cependant, à sa grande surprise, elle ressortit quelques secondes plus tard de l’eau et revint vers lui, comme si de rien n’était. Il fallait que sa sœur voie ça !
« Tallulah ! Viens voir ce que j’arrive à faire ! »
La petite fille, qui s’était déjà un peu éloignée, revint lentement, se demandant se que son frère avait encore derrière la tête. Celui ramassa un autre galet à ses pieds et lui demanda de bien regarder. Il le lança de toutes ses forces, mais le troisième caillou revint en ricochant. Les yeux de Tallulah devinrent ronds comme des soucoupes, puis elle poussa un cri d’enthousiasme et revint vers le lac à toute hâte, voulant absolument essayer de faire pareil. Sa tentative fut couronnée de succès. Il semblait qu’ils avaient mystérieusement obtenu le don de faire revenir les pierres à eux en les lançant sur l’eau. Ou bien n’avaient-elles simplement pas envie de se mouiller, et regagnaient en hâte la terre ferme ? Aucune explication ne pouvait être donnée, mais ça ne leur posait pas de soucis. L’important était qu’ils avaient trouvé de quoi s’amuser, et probablement pour un moment.
Il fut aisé de constater que, d’une certaine manière, les endroits qui paraissaient lumineux avaient tendance à davantage faire rebondir les pierres que les autres. Après tout, peut être qu’il ne s’agissait pas uniquement des rayons du soleil. À force de faire des ricochets, les ondulations de l’eau commencèrent à suivre les sauts des galets. Par endroits, la surface semblait se lever puis redescendre, à la manière d’une cage thoracique humaine pendant la respiration. Dans ces zones, les cailloux plongeaient de plus en plus loin dans le lac, faisant gicler l’eau plus amplement et occasionnant des clapotis toujours plus sonores. Ces bruissements ne s’interrompaient quasiment plus, produisant presque une mélodie languissante. Mélodie qui se mua en quelque chose de semblable à chant dans un langage inconnu, à mesure que la profondeur des sons s’accentuait.
Ils ne remarquèrent pas tout de suite que l’étendue d’eau semblait se déplacer lentement et leur léchait à présent les pieds, alors qu’ils étaient quelques minutes auparavant au sec. La sensation de froid que leur laissaient les vaguelettes venant doucement les caresser les ramena lentement à la réalité. Le lac ressemblait alors davantage à un bord de mer houleux un jour de grand vent. Trop d’eau devait arriver depuis la rivière qui l’alimentait, pour une raison ou pour une autre. Nul doute que s’ils avaient décidé d’y nager, ils auraient eu beaucoup de mal à revenir sur la terre ferme. Les enfants décidèrent de partir afin d’éviter un accident idiot. Ils rentrèrent donc au chalet, laissant là l’étendue d’eau et son éclat mystérieux qui n’avait pas diminué malgré le soir approchant.
Leurs parents étaient arrivés avant eux. Comme promis, il y eut de la glace pour le dessert. Kendal et Tallulah leur racontèrent leurs exploits du jour et leur demandèrent s’ils savaient comment les galets pouvaient revenir à eux lorsqu’ils les lançaient sur l’eau, mais ils n’obtinrent pas de réponse précise. Les deux adultes n’avaient en effet aucune idée de ce qui pouvait avoir causé cela, et supposaient simplement que c’était à cause de l’agitation de l’eau, faute d’avoir une meilleure explication. Ils leur demandèrent à ce propos de ne pas s’approcher du lac pendant un ou deux jours, car une tempête se préparait, et ils avaient de bonnes raisons de penser qu’il allait déborder. Les observations des deux enfants tendaient à confirmer ce scénario.
Et en effet, lorsque la nuit vint, ils purent entendre distinctement le vent souffler contre les murs en bois du chalet. Les bourrasques n’étaient pas assez fortes pour l’ébranler, mais le bruit qu’elles produisaient était terrible. Au loin, on pouvait deviner le déchaînement des eaux du lac. C’était une bonne chose que le vent ne se soit pas levé plus tôt. Cette nuit, Kendal et Tallulah avaient décidé de dormir dans la même chambre, sans doute pour se rassurer un peu. Ils savaient que les murs ne cèderaient pas, mais le vacarme provenant de l’extérieur les mettait mal à l’aise. Aussi, ils avaient l’impression qu’il se mêlait au chant du lac qu’ils avaient entendu quelques heures plus tôt, et qui s’était réduit à un chuchotement. Les enfants avaient recommencé à l’entendre peu de temps après être partis se coucher, malgré la distance entre eux et l’eau.
Une bourrasque plus puissante que les autres les fit se serrer l’un contre l’autre. Tallulah cachait son visage dans les couvertures. Kendal, lui, observait les branches des arbres secouées par la tempête à travers la fenêtre. La lune était pleine et lui permettait devoir distinctement ce qui se passait dehors. Il se sentait mal à l’aise, sans trop savoir pourquoi. Il avait l’impression que quelque chose lui échappait. Le chuchotement de l’eau lui parvenait toujours et commençait à l’endormir. Le lac lui chantait ses douces chansons pour l’apaiser, car il ne voulait pas qu’il ait peur. Il n’avait qu’à s’endormir dans ses bras, et demain tout irait mieux, le vent serait tombé, et il pourrait revenir jouer avec lui à lancer des cailloux. Cette idée était rassurante. Il s’apprêtait à fermer les yeux quand il vit passer une ombre devant lui.
Un galet flottait devant lui. Un simple galet qui flottait dans les airs. Kendal devait être en train de rêver. Il voulut lever son bras pour l’attraper, mais s’aperçu soudain que quelque chose lui résistait. Le jeune garçon ouvrit grand ses yeux et compris avec horreur : la pierre ne flottait pas dans les airs mais dans l’eau ! L’eau avait pénétré dans le chalet et emplissait la chambre. L’enfant s’aperçu que la fenêtre était ouverte et que c’était par là qu’elle s’engouffrait, telle un serpent visqueux glissant silencieusement vers sa victime. Le vent était tombé, et le lac ne chantait plus. Mais il brillait toujours. La lumière de la lune lui donnait un éclat glacial, froid comme la mort, tandis qu’il remontait lentement vers le visage des deux enfants. Le lac était vivant ! Et maintenant, il était venu pour les dévorer.
Tallulah semblait plongée dans un profond sommeil. Kendal tendit difficilement une main vers elle pour essayer de la secouer, mais cela n’eut aucun effet. L’eau l’éloigna de lui, et commença à la tirer doucement vers la fenêtre. Kendal se débattait et essayait vainement de la rattraper. Le lac ne voulait pas qu’il bouge. Il ne s’était pas encore endormi. Il recommença à chanter, mais cette fois le garçon ne fut pas dupe et n’écouta rien. Il voulut crier pour appeler ses parents, cependant le lac lui compressa si fort le thorax qu’aucun son ne put passer ses lèvres. Il était comme enfermé dans une prison liquide. Tallulah était maintenant arrivée sur le rebord de la fenêtre, et elle disparut en quelques instants, au désespoir de son frère. Le lac l’avait emportée.
Probablement parce que la mélodie ne fonctionnait plus, l’eau se mit à remonter plus rapidement vers son visage. Son but était clair : elle voulait l’étouffer. Le priver d’air. Rien ne pourrait l’empêcher d’accomplir son dessein. Les membres du garçon étaient paralysés. La pression qu’exerçait le lac sur lui était trop forte, impossible de se défendre. Il s’apprêtait à se noyer, probablement comme sa sœur. Elle devait être morte. Elle avait sûrement arrêté de respirer. C’est pour ça qu’elle ne s’était pas réveillée. Peut être que ses parents avaient subis le même sort. Son père lui avait pourtant promis qu’il ne se noierait pas dans sa chambre. À présent, il étouffait dans des bras liquides. Ses cauchemars avaient peut être été des avertissements. Il était désormais trop tard pour les écouter. Le garçon était perdu.
L’eau atteint sa bouche et son nez, coupant l’accès à l’oxygène. Ses poumons se vidaient lentement. Le lac le voulait lui aussi. Ses mouvements de plus en plus faibles étaient vains. Le manque d’oxygène agissait déjà. Tout était exactement comme dans ses songes. Sa vision devenait floue, il avait la sensation que son buste s’enflammait. Il était seul. Il était condamné. L’eau monta et dépassa sa tête. À l’instant où il coula, son ultime chance s’envola. Sa volonté s’éteignit. L’eau se faufila en lui, si vite qu’elle lui sembla comme impatiente. Elle l’emmena, comme elle avait emmené la fillette quelques minutes plus tôt. Il était temps. Le lac était affamé.
Commentaires
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