Ça a plutôt bien marché vu que le surlendemain un autre groupe de créatures est venu attaquer une zone non-défendue, et qu’on a réussi à les tuer assez facilement. Cela dit, elles n’étaient qu’une dizaine, c’est curieux il y en a moins ces temps-ci. Ça ne fait bien qu’un mois et trois semaines, mais plus le temps avance moins on se fait attaquer. C’est toujours éprouvant et on risque toujours nos vies, mais ça n’a rien à voir avec les premières batailles. Peut être qu’elles préparent quelque chose, et qu’on va se faire surprendre en beauté. C’est vrai que leur intelligence est assez développée…
Bref après j’ai pu me reposer hier, pendant la nuit ça a été mon tour de garde sur le bâtiment sud, j’étais avec Frank, un grand gaillard d’1m90, probablement 90 ou 100 kilos, qui parle très peu et se contente de tirer sur les ennemis quand il y en a et de fumer des cigarettes quand il n’y en a pas. Mais lorsqu’il parle, on l’écoute, car c’est un ancien militaire (il a facilement 45 ans) décoré plusieurs fois. Donc niveau stratégie et tactique il nous aide pas mal.
Pendant que j’étais avec lui, il n’a rien dit, comme à son habitude, et il a fumé pendant un bon moment. On dirait qu’il a fait une provision de clopes et de briquets. Mais à une heure avancée il s’est arrêté et a agrippé sa kalachnikov, en regardant autour de lui. Nerveux, j’ai regardé aussi, mais je n’ai rien vu. Presque rien vu. Il y a juste eu deux yeux. Je n’avais jamais vu ça chez aucune créature, que ce soient les originelles ou les chiens. Mais mon cœur a quand même manqué un battement. Nos regards ne se sont croisés qu’une fraction de seconde, mais ça a été suffisant. J’ai vu dans ce regard une haine incommensurable, une faim terrible mais par-dessus tout, et c’est ça qui m’a fait flipper, j’ai senti dans ce regard une malice qui dépasse l’entendement, quelque chose qui vous met mal à l’aise rien que de l’envisager. Juste après ça les deux yeux ont disparu et je crois avoir entendu un très léger bruissement de là où je les avais vus, mais j’ai peut être rêvé. Deux minutes après ça Frank s’est détendu et a recommencé à fumer, et on est rentrés une bonne demi-heure après.
Et on en arrive à aujourd’hui. J’ai découvert quelque chose qui nous a tous mis mal à l’aise. Dans le bâtiment sud il y a une petite trappe, que personne n’avait vue, probablement parce que quelqu’un avait mis sa couchette dessus et à cause de la poussière. J’ai préféré ne pas l’ouvrir, mais je l’ai immédiatement signalé à ceux qui n’étaient pas loin. On a voulu résoudre ça rapidement. Lili, qui était avec moi, a demandé si on n'avait rien pour savoir au moins si c’était une cave ou un sous-terrain, et on s’est rappelé le détecteur thermique. Ça fait partie des affaires que Frank nous avait dit de prendre quand on a commencé à préparer le bunker. Il y a un placard entier de compteurs, détecteurs et autres outils bizarres mais bien utiles. On l’a mis au-dessus de la trappe et on l’a allumé. Et malheureusement c’est bien un sous-terrain qu’on a sous les pieds. Et qui dit sous-terrain dit risque d’invasion un jour ou l’autre. On ne sait pas jusqu’où il va, mais ce qui est sûr c’est qu’il relie le bâtiment sud et le bâtiment est (il y a une autre trappe), et continue loin vers le nord est. Ça ne m’étonnerait pas qu’il aille jusqu’aux villes voisines.
On ne s’est pas posé de question, on a mis tout ce qu’il y avait de plus lourd sur les deux trappes et on a barricadé les portes. Ce n’est pas aussi sûr que les barbelés et le champ de mine, mais on n’a rien de mieux. On a averti les autres ensuite, en leur disant que ça allait, que ce qu’on avait fait suffirait, mais on voyait dans leur regard qu’ils n’étaient pas dupes. Enfin toujours on a été plus rassurant que quelqu’un qui aurait dit « c’est fini on va tous crever ». Quelques uns d’entre nous ont commencé à dire qu’ils espéraient que les restes de l’armée nous trouvent, qu’on soit évacués vers une zone sûre, que ce cauchemar s’arrête une bonne fois pour toute. Il ne faut pas longtemps pour briser l’esprit d’un homme et le faire réagir comme un enfant. Ceux qui sont restés lucides n’ont rien dit, conscients que ce pourrait être dangereux de briser l’espoir de ceux qui ont besoin de se rattacher à quelque chose pour se sentir en sécurité. Je suis lucide, mais je ne peux m’empêcher d’espérer qu’on nous trouve effectivement, et qu’on n’ait plus jamais à entendre parler des créatures. Le monde des hommes me manque.